En attendant les robots
Avec son livre En attendant les robots – Enquête sur le travail du clic, Antonio A. Casilli, sociologue et maître de conférences en humanités numériques à Télécom ParisTech, dissipe «l’illusion de l’automation intelligente» et «fait apparaître la réalité du digital labor : l’exploitation des petites mains [et des petits doigts] de l’intelligence «artificielle», ces myriades de tâcherons du clic soumis au management algorithmique de plateformes en passe de reconfigurer et de précariser le travail humain».
Introduction : À partir d’un cas réel d’une application fonctionnant supposément à l’aide de l’intelligence artificielle, mais le faisant plutôt avec des travailleur.euses précaires provenant de pays à bas salaire, l’auteur montre qu’il est important de faire le portrait du travail des tâcherons du clic. Il présente ensuite le contenu de chacun des chapitres de ce livre. Il précise ensuite que «cet ouvrage s’efforce d’appréhender les logiques économiques et sociales qui régissent la société façonnée par les plateformes numériques, de comprendre les mécanismes de production et de circulation de la valeur qui y ont cours, les formes de domination et les déséquilibres qu’elle induit – et finalement – d’en concevoir le dépassement possible».
Première partie – Quelle automation?
1. Les humains vont-ils remplacer les robots? : Ce chapitre porte notamment sur «l’engouement pour l’intelligence artificielle (IA)». L’auteur y aborde :
- le concept limitatif d’intelligence dans l’IA;
- la nature du digital labor (il trouve l’expression travail numérique inadéquate, pour des raisons qu’il développe plus loin);
- l’historique de l’anxiété face aux machines (datant de l’Antiquité) et à l’automatisation;
- les études récentes sur la substitution du travail humain par des machines, surtout en raison des applications de l’IA (substitution qui est beaucoup étudiée, mais peu observée; voir notamment ce billet);
- la confusion entre l’évolution des tâches et leur élimination;
- la tâcheronnisation des modes de production;
- la distinction entre l’IA faible, qui ne fonctionne qu’avec des interactions humaines (dont celle du digital labor), la seule actuellement en service, et l’IA forte dont tout le monde parle;
- la stratégie des entreprises qui adoptent le discours des dangers de l’automatisation.
2. De quoi une plateforme numérique est-elle le nom? : Ce chapitre porte sur «le paradigme technique de la plateformisation, qui concerne aujourd’hui autant les entreprises technologiques que celles d’autres secteurs, dans la mesure où ces dernières sont engagées dans leur transformation numérique». L’auteur :
- en suivant la typologie de Nick Srnicek, distingue cinq types de plateformes, soit les plateformes publicitaires (comme Google et Facebook), nuagiques (Amazon Web Services), industrielles (Siemens), de produits (Spotify,) et allégées (Uber, Airbnb, etc.), et analyse leurs caractéristiques et leurs conséquences (voir ce billet sur le livre de Srnicek);
- établit un lien entre la vision politique du concept de plateforme et son utilisation en économie;
- aborde la financiarisation des activités des entreprises, l’externalisation et la tâcheronnisation de leurs activités à faible valeur ajoutée, et la réduction de leurs frais de transactions, en lien avec la plateformisation de leurs modes de production;
- décrit le rôle primordial des usager.ères dans les plateformes, tant par leur utilisation des applications que par les informations personnelles qu’ils et elles doivent leur fournir.
Deuxième partie – Trois types de digital labor
3. Le digital labor à la demande : Le travail à la demande est celui associé à l’économie dite collaborative (gig economy), comme les chauffeur.euses d’Uber. Ce type de travail contribue à la précarisation des emplois, quoique le niveau de cette contribution soit difficile à établir en raison du manque de données fiables. L’auteur aborde :
- l’illusion d’autonomie et de flexibilité;
- les revendications de ces travailleur.euses (rémunération, horaires, avantages sociaux, statut d’emploi, discrimination, opacité des algorithmes et des critères utilisés pour répartir les appels, etc.);
- le fonctionnement de la tarification d’Uber, tant sur les coûts que sur l’accumulation des données sur les chauffeur.es et sur les passager.ères;
- l’autonomie bien relative des voitures dites autonomes, même à moyen terme;
- le rôle des passager.ères dans les voitures «autonomes».
4. Le microtravail : Le microtravail «désigne la délégation de tâches fractionnées aux usagers de portail comme Amazon Mechanical Turk ou Clickworker». Il s’agit de tâches qui ne peuvent pas être automatisées, comme l’annotation de vidéos, le tri de tweets, la retranscription de textes scannés, etc. Amazon considère qu’il s’agit de tâches ludiques effectuées volontairement et que la rémunération (très faible) est en fait une récompense. Ces tâches visent à fournir des données fiables aux algorithmes de l’IA et à corriger leurs résultats, que ce soit dans la reconnaissance d’images et de vidéos, ou dans les applications de traduction, dans les moteurs de recherche et dans l’appariement des publicités.
5. Le travail social en réseau : Le travail social en réseau «se base sur la participation des usagers de médias sociaux tels que Facebook ou Instagram. Il s’agit de tâches souvent assimilées à du loisir, de la créativité ou de la sociabilité» (comme ce que je fais en rédigeant ce billet). L’auteur considère que trois questions traversent cette activité, soit «les enjeux de la gratuité des contributions en ligne, la dénonciation de l’exploitation des usagers et l’intégration croissante d’éléments ludiques dans les gestes productifs». Il examine ces trois questions en détail, avec des exemples portant sur les types de tâches confiées aux usager.ères selon la nature des plateformes.
Troisième partie – Horizons du digital labor
6. Travailler hors travail : L’auteur analyse les différentes catégories de travail auquel on peut associer le travail digital. S’agit-il de travail domestique, sur appel, informel, immatériel, autonome, du consommateur, des spectateurs, ou bien doit-on lui accorder une nouvelle catégorie? Cela dépend bien sûr de la nature de travail accompli, mais aussi de considérations plus difficiles à trancher.
7. De quel type de travail le digital labor relève-t-il? : En confrontant le travail digital à des critères objectifs et historiques, l’auteur conclut qu’il est un «vrai» travail, car :
- il produit de la valeur;
- il n’est pas une activité informelle, étant encadré par des clauses contractuelles;
- il se déroule sous surveillance;
- «l’attribution des tâches productives aux usagers introduit un lien de subordination»;
- il est assujetti à une rémunération (parfois nulle) variant selon la nature des tâches .
8. Subjectivité au travail, mondialisation et automation : Dans ce chapitre, l’auteur analyse les sujets et concepts suivants:
- le niveau et le type d’exploitation dans le travail digital, et l’aliénation qui en découle, notamment en raison de la fragmentation des tâches;
- les possibilités de capacitation (empowerment) souvent exagérées;
- le pouvoir de la classe vectorialiste (pouvoir qui repose notamment sur les flux d’information);
- la colonisation numérique;
- l’externalisation non présentielle des activités des plateformes et son impact sur la baisse des salaires;
- les prophéties sur l’avènement imminent de nombreuses applications de l’IA (la première prophétie qu’il mentionne datant des années 1960);
- les méthodes d’apprentissage de l’IA (qui comprennent presque toutes l’intervention de travail digital);
- l’automatisation complète (qui ne serait pas possible à court et moyen termes).
Conclusion – Que faire? : L’auteur passe en revue «plusieurs initiatives et luttes pour la reconnaissance du travail des plateformes», certaines menées par des syndicats, d’autres par l’intervention du législateur, par la mobilisation d’usager.ères ou par des organismes de défense des droits des travailleur.euses. Cette reconnaissance touche aussi bien le statut des travailleur.euses que leur rémunération ou que le contrôle de leurs activités. Ces démarches ont connu des succès variés, selon les régions et les types de travail. D’autres revendications visent à instaurer un coopérativisme de plateformes, voire à ce que les données fassent partie d’un «domaine commun informationnel» de propriété sociale. Intéressant!
Postface : Dominique Méda, professeure de sociologie à l’Université Paris-Dauphine, conteste comme l’auteur (et moi) les prévisions de disparition massive des emplois due à l’automatisation des emplois en raison de l’implantation d’algorithmes conçus grâce à l’IA. Elle aussi croit plutôt que cette automatisation contribue à la déconsidération du travail et à sa précarisation.
Et alors…
Lire ou ne pas lire? Lire! Ce livre contient une quantité impressionnante d’informations sur le travail digital et l’économie de plateforme, et l’auteur analyse ces informations sous une foule d’angles complémentaires. J’ai trouvé certaines parties plus difficiles à lire (l’auteur est sociologue), mais même ces parties m’ont intéressé. Les solutions qu’il propose sont pertinentes (je ne les ai pas décrites en détail), même si elles ne sont pas toutes évidentes à implanter. Les 729 notes, surtout des références, mais aussi quelques compléments d’information, s’étendent sur 66 pages à la fin du livre, nous obligeant à utiliser deux signets et à naviguer constamment entre les pages lues et les notes, ce que je déteste. Mais, bon, rien n’est parfait!
Quatre exemplaires sont disponibles à la bibliothèque municipale de Québec.
Beau travail d’intelligence naturelle (IN) à petit prix. Difficile de fragmenter.
C’est pas demain la veille que vous serez remplacé par des robots. Moi, c’est moins sûr. Un robot de l’éditeur aurait pu écrire facilement ici ma première phrase.
Pour les deux autres, ça demande plus d’intelligence et de savoir vivre.
Jean-François Lisée ajouterait d’humour.
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«C’est pas demain la veille que vous serez remplacé par des robots.»
Ils ne seront certainement pas prêts à temps!
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« Detail En attendant les robots
En attendant les robots a été écrit par Antonio a. Casilli qui connu comme un auteur et ont écrit beaucoup de livres intéressants avec une grande narration. En attendant les robots a été l’un des livres de populer sur 2019. Il contient 400 pages. Ce livre a été très surpris en raison de sa note top et a obtenu environ best avis des utilisateurs. Donc, après avoir terminé la lecture de ce livre, je recommande aux lecteurs de ne pas sous-estimer ce grand livre. Vous devez prendre En attendant les robots que votre liste de lecture ou vous serez regretter parce que vous ne l’avez pas lu encore dans votre vie. »
https://besztiarysq.ga/202140188X-en-attendant-les-robots.html
Il faut devenir membre pour pouvoir télécharger ou lire en ligne.
C’est un exemple de là qu’une entreprise est rendue dans l’exploitation d’un robot traducteur j’imagine plutôt que rédacteur.
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Ouache. Du Google traduction au mieux! Y a-t-il une version en anglais?
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Je n’en ai pas trouvé; ni version italienne.
J’imagine qu’un lecteur a écrit ce commentaire quelque part en anglais et que Beszliarysq l’a fait traduire par un robot inhumain.
le .ga après Besszliarysq dans le lien à mon commentaire précédent est pour Google Analytics; je pense 8 sur 9 après avoir lu ce que répond Google pour ga.
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«le .ga après Besszliarysq dans le lien à mon commentaire précédent est pour Google Analytics»
Wikipédia dit que «.ga is the country code top-level domain (ccTLD) for Gabon».
https://en.wikipedia.org/wiki/.ga
Si j’ai bien compris, le sigle de Google Analytics est un ajout de «_ga» à l’url, comme http://www.XXXXXXX.org.pl/?_ga=1.123456789.123456789.123456789.
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