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L’AÉCG ou l’abandon de la souveraineté et de la démocratie

13 juillet 2012

Plus tôt cette semaine, Le Devoir a publié un article très éclairant sur l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG), Libre-échange Canada-Europe – Un pari risqué pour les provinces. Comme il était cadenassé lorsque je l’ai vu la première fois, je l’ai lu dans une version où on ne voyait pas le lien qu’il contient et qui mène vers l’avis juridique qu’il commente. Je n’avais donc pas l’intention d’écrire un billet sur le sujet. Puis, une amie (merci Line!) m’a fait retourner regarder l’article sur Internet et j’ai alors vu le lien qui mène vers l’avis en question. Très intéressant!

L’AÉCG est un accord qui est en négociation entre le Canada et l’Union européenne depuis 2009. C’est l’accord au sujet duquel Pierre-Marc Johnson a dû se présenter en commission parlementaire pour expliquer aux députés qu’il ne peut divulguer le contenu des négociations, mais que «tout est sur la table». Tout, ça inclut les services publics, les achats des organismes publics, la santé, l’éducation, la culture et même le commerce de l’eau, à moins que ces sujets ne soient expressément exclus.

J’ai déjà lu un texte éclairant de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) sur les possibles dangers de cet accord ainsi que des réactions d’autres organismes, mais je dois avouer que l’avis juridique que j’ai lu grâce au Devoir est le premier qui m’a fait comprendre de façon claire la nature précise de ces dangers.

J’avais bien sûr compris ce que j’ai écrit plus haut, soit que les négociations touchaient absolument tout, et en ai même parlé dans un précédent billet, soulignant le caractère opaque du processus de négociations et le fait que les députés n’étaient même pas informés ni de l’évolution des négociations, ni même du mandat donné aux négociateurs, mais n’avais pas saisi toutes les «subtilités» qui se cachaient derrière. Et il est certain que je ne comprends toujours pas tout…

Je n’ai pas l’intention de parler de tout ce qui est abordé dans l’avis juridique en question, mais vais plutôt m’attarder ici sur trois points précis qui m’ont permis de comprendre encore mieux les dangers de cet accord.

Non réciprocité

Ces négociations sont encore plus compliquées que d’autres, car on y négocie des sujets qui relèvent aussi bien des compétences fédérales que des compétences provinciales. Le Canada a donc invité les provinces et territoires du Canada à déléguer des personnes qui représentent leurs intérêts pour participer aux négociations. Ces personnes doivent entre autres spécifier les domaines de compétence provinciale qu’ils veulent voir exclus des négociations.

Selon les documents (bien sûr incomplets et «datant de cet hiver et de l’automne dernier ayant fait l’objet de fuites», selon l’article d’Éric Desrosiers du Devoir) étudiés dans l’avis juridique, les domaines que les provinces et territoires mentionnent vouloir exclure sont bien différents d’une province et territoire à l’autre et surtout beaucoup moins nombreux que ceux mentionnés clairement par l’Union européenne (voir pages 5 et 6) :

«Par exemple, l’UE propose d’inscrire de vastes réserves à l’Annexe II pour protéger tous les services publics; les monopoles publics, qu’ils soient commerciaux ou non (comme le transport en commun); les services d’information; la distribution de l’eau «à usage domestique, industriel, commercial et autre»; les services d’approvisionnement pour «tous les travailleurs commerciaux et industriels, le personnel soignant et les autres employés»; la recherche et le développement dans presque tous les secteurs; la vente au détail de médicaments; les services éducatifs aux niveaux primaire, secondaire, supérieur et d’éducation aux adultes; les soins de santé et les services sociaux; les services financiers; les services de distribution d’énergie (comme les pipelines et réseaux de transport de l’électricité); etc.»

Cela dit, il est difficile de conclure à ce sujet tant que les négociations ne seront pas terminées. L’avis détaille les conséquences potentiellement désastreuses de la «timidité» des provinces (à lire! En tout cas au moins l’article du Devoir qui résume bien), d’autant plus que, si l’accord est signé, seul le fédéral pourra demander de le rouvrir!

Dans un article publié dans le Devoir le ledemain, Pierre Marc Johnson affirmait justement que bien des secteurs ont été ajoutés depuis à la liste des domaines exclus. Il mentionnait entre autres les services de santé, d’éducation et de services sociaux, et les sociétés d’État, comme Hydro-Québec ou la Société des alcools du Québec. Il ne parlait toutefois pas des secteurs de l’eau, de la gestion de l’offre en agriculture, de la culture, de l’énergie et de bien d’autres secteurs qui inquiètent l’auteur de l’avis juridique. Et il ajoutait candidement à propos des secteurs qu’il a énumérés que même ceux-ci ne sont pas nécessairement tous exclus :

«Certaines concessions seront toutefois nécessaires si l’on veut obtenir, en échange, un meilleur accès «au plus riche marché unique au monde».

En plus, il confirmait qu’il serait difficile de rouvrir une éventuelle entente avec l’Europe :

«Mais cela n’arrive jamais, affirme-t-il. On assiste, en pratique, à un processus de libéralisation constante depuis au moins la Deuxième Guerre mondiale

Voilà un danger qu’il déconsidère, convaincu que le modèle néolibéral ne changera jamais ou même qu’il ne doit pas changer, ni demain, ni dans 100 ans! Réalise-t-il que cela peut empêcher le Québec de choisir démocratiquement son avenir et, sans moindrement consulter la population, enlève aussi aux générations futures le moyen de le faire? En fait, il resterait un moyen de pouvoir renégocier cet accord, celui de devenir un pays!

Clause de «la nation la plus favorisée» de l’ALENA

Même si le problème de non réciprocité se réglait, l’AÉCG resterait un piège à con.

«Les provinces devraient savoir, pourtant, que tout ce qu’elles accorderont aux Européens, elles le donneront aussi aux États-Unis et au Mexique en vertu de la clause de «la nation la plus favorisée» de l’ALENA.» Éric Desrosiers

En effet, l’article 1103 de l’ALENA (voir page 6) accorde automatiquement aux États-Unis et au Mexique les avantages de tout accord signé entre le Canada et un autre pays, même si les États-Unis et le Mexique n’accordent pas au Canada les avantages que l’autre pays a concédés au Canada pour les obtenir. Par exemple, si l’Union européenne accordait aux entreprises du Canada la possibilité de participer aux appels d’offres des municipalités européennes en échange du même avantage au Canada pour les entreprises européennes, les entreprises des États-Unis et du Mexique obtiendraient automatiquement ce même droit, sans avoir besoin d’offrir la réciproque aux entreprises canadiennes. Piège à con, ai-je dit? Avec raison!

Dans le même article, M. Johnson affirme que la clause de «la nation la plus favorisée» de l’ALENA «se limite aux secteurs des services et de l’investissement». Je n’essaierai pas ici de déterminer quel juriste a raison, mais trouve assez extraordinaire que M. Johnson ne trouve pas important qu’on puisse accorder certains avantages, même s’ils étaient vraiment limités aux secteurs des services et de l’investissement, aux États-Unis et au Mexique sans que ces pays ne nous accordent les mêmes avantages!

Mécanisme de cliquet

Quelle belle expression! Quel concept odieux!

Le mécanisme de cliquet :

«empêche l’adoption de nouvelles initiatives ou de toute réforme aux mesures actuelles susceptibles de limiter un tant soit peu les droits des investisseurs et des fournisseurs de services étrangers.» page 2

En clair, cela veut dire qu’un pays ne peut plus rien changer à sa législation sur tout ce qui fait partie de l’accord, même dans les domaines exclus des négociations, si cette modification a le potentiel de nuire aux possibilités des entreprises des pays signataires d’investir et de faire des profits. Si un pays découvre une lacune à sa réglementation, quel que soit les conséquences de cette omission sur la santé publique, même si le problème n’était pas connu lors de la signature de l’accord, trop tard, le pays ne peut plus rien changer à moins de payer des compensations exorbitantes. Autre exemple, si un gouvernement plus ouvert à la réglementation environnementale est élu, il aura été menotté par l’ancien.

Bizarre, M. Johnson ne commente pas du tout ce danger dans sa réplique… Il doit donc être bien réel!

Et alors…

Ce billet n’est qu’un survol rapide et partiel des conséquences désastreuses que pourrait entraîner la signature de l’AÉCG. Les différents mécanismes de menottage que j’ai décrits montrent qu’une telle signature serait ni plus ni moins qu’un abandon de souveraineté et un renoncement à la démocratie par les pays signataires, comme on peut le lire dans l’avis juridique :

«Il est déplorable qu’un accord international si lourd de conséquences virtuellement permanentes se soit négocié, jusqu’à présent, sans permettre la tenue d’une discussion ou d’un débat public éclairé.» page 4

Et, pendant ce temps, nos éditorialistes néolibéraux détournent notre attention avec leurs élucubrations sur les conflits d’intérêts potentiels d’anciens journalistes qui décident de s’engager en politique… Comme si eux-mêmes ne l’étaient pas!

23 commentaires leave one →
  1. 13 juillet 2012 17 h 46 min

    Quelqu’un a déjà chassé les marchands du temple…. il faudra les chasser de la démocratie!

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  2. 13 juillet 2012 17 h 47 min

    😆

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  3. koval permalink*
    13 juillet 2012 19 h 42 min

    « Le droit de modifier l’AÉCG est une prérogative du fédéral, que peut l’exercer avec ou sans l’appui des provinces. »

    C’est dans le rapport de 19 pages qu’hyperlie le Devoir, ça donne le ton, un grand saut vers la dépossession tranquille via le néolibéralisme fédéraste!

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  4. 13 juillet 2012 20 h 48 min

    «un grand saut vers la dépossession tranquille via le néolibéralisme fédéraste!»

    Personnellement, j’attribue cela en partie à ce que tu dis, mais encore plus au néolibéralisme. Il n’y a pas de sacrifice qui ne vaille pas la peine pour accéder théoriquement à un marché plus gros que le nôtre! Et, bien sûr, notre statut de nation sans pays vient accentuer le tout…

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  5. 15 juillet 2012 9 h 44 min

    Je parcourais plus en détail les liens que tu as fournis, et celui dans la phrase en bas porte sur les carrés rouges! Est-ce une erreur?

    « En tout cas au moins l’article du Devoir qui résume bien), d’autant plus que, si l’accord est signé, seul le fédéral pourra demander de le rouvrir! »

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  6. 15 juillet 2012 10 h 22 min

    «Est-ce une erreur?»

    Oui! Merci, c’est corrigé! Pourtant, je les vérifie avant de publier… mais trop vite, semble-t-il!

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  7. 16 juillet 2012 8 h 34 min

    Très bon éditorial de Bernard Descôteaux sur le sujet ce matin dans Le Devoir. Extrait :

    «Ce qui est en cause dans ces négociations, c’est moins l’idée du libre-échange que la manière de négocier sans débat public, comme si seuls de grands technocrates pouvaient comprendre les enjeux en cause. On dit qu’une élection est l’occasion pour un gouvernement de rendre des comptes. Quels comptes rendra donc Jean Charest sur cette négociation avec l’Union européenne ? Aucun, car il prétendra être tenu au secret.»

    Libre-échange – Le secret

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  8. Yves permalink
    16 juillet 2012 9 h 16 min

    J’en reviens tout simplement pas que toutes ces négociations soient tenues sans débat public. C’est quand même nous qui allons payer et qui payons ces négos.

    Une belle gang de bandits qui complotent dans notre dos et ça ben l’air qu’on peut pratiquement rien faire pour empêcher cela.
    Comme tu le disais l’autre jour, ça fait longtemps que le 1% est en mode attaque.

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  9. 16 juillet 2012 9 h 50 min

    «Comme tu le disais l’autre jour, ça fait longtemps que le 1% est en mode attaque»

    Si je ne m’abuse, ce n’était pas ici, mais sur FB!

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  10. JCPomerleau permalink
    16 juillet 2012 12 h 37 min

    Le Plan Nord s’emboite parfaitement dans cet accord de libre échange.

    On ouvre toute grande les portes aux prédateurs et on finance notre dépossession (85 % des investissement du Plan Nord seront publique et para publique).

    Tout cela sans débat démocratique.

    Il est urgent de reprendre le contrôle de notre État.

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  11. 16 juillet 2012 13 h 32 min

    @ JCPomerleau

    «Le Plan Nord s’emboite parfaitement dans cet accord de libre échange.»

    Il est en effet basé sur le même concept néolibéral. Cela dit, si on peut établir une échelle de la turpitude, je considère l’AÉCG encore pire! Par exemple, vous pouvez établir le % des investissements du Plan Nord qui seront publics et para publics, mais on peut dire peu de choses sur l’AÉCG, car les seules sources sont des fuites partielles de documents désuets et les affirmations opaques du négociateur. Il est alors difficile d’ameuter la population sans pouvoir avoir une petite idée des conséquences précises. On ne peut que supposer ses conséquences potentielles, ce que j’ai tenté de faire, comme quelques autres (bravo entre autres au Devoir!). Et cela, ça ne crée pas grand remous!

    «Il est urgent de reprendre le contrôle de notre État»

    Je ne peux être plus d’accord!

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  12. 3 décembre 2012 10 h 53 min

    Excellent texte de Claude Vaillancourt sur Le coût du libre-échange
    Extrait-conclusion

    «Sans vouloir revenir à l’autarcie ni à un protectionnisme étroit, comme le prétendent avec mauvaise foi les défenseurs du libre-échange lorsqu’on s’oppose à leurs accords, il est clair qu’il faut remettre en question la façon dont on négocie les accords commerciaux internationaux. Pourquoi procéder toujours par des négociations secrètes ? Pourquoi ne pas concevoir les échanges internationaux sous le mode de la coopération plutôt que sur celui de la concurrence acharnée ? Pourquoi ne pas lancer les négociations après avoir consulté les principaux acteurs de la société civile dans toute leur diversité ? Pourquoi ne pas envisager le commerce international en privilégiant le plein-emploi, en assurant la protection de l’environnement et en garantissant des services publics de qualité et accessibles à tous?

    Le libre-échange proposé par le gouvernement canadien est rigide et ne protège pas le bien commun. L’un des grands défis du gouvernement québécois serait non pas de suivre béatement la démarche des conservateurs, comme le laisse entendre la présente politique du Parti québécois, mais d’affirmer une autonomie réelle dans les champs de compétence qui sont ceux du Québec, en refusant d’en perdre la maîtrise. Quitte à remettre en question, pour une fois, le dogme du libre-échange à tout prix.»

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