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Les crédits d’impôt pour le revenu de travail

5 août 2015

crédits_impôtDans un billet datant d’un an portant sur les mesures fiscales adoptées par le gouvernement conservateur depuis 2005, j’ai montré, en me basant sur une analyse du directeur parlementaire du budget (DPB), que la Prestation fiscale pour le revenu de travail (PFRT) fut de loin la mesure la plus progressiste adoptée par ce gouvernement en termes de contribution à la diminution du coefficient de Gini.

Malgré ce constat, je me suis toujours demandé quels étaient les impacts réels de ce crédit. Il vise à fournir des incitatifs aux sans-emploi pour en trouver un, mais y parvient-il? Y a-t-il vraiment des personnes qui prennent leurs décisions en fonction d’une mesure fiscale que peu de personnes connaissent? Encore une fois grâce au blogue Economist’s View, j’ai pris connaissance de deux études portant sur les impacts du crédit équivalent (quoique différent sur bien des aspects) des États-Unis, soit le Earned Income Tax Credit (EITC) qu’on peut traduire par le crédit d’impôt pour le revenu de travail. Pour ce billet, je me baserai surtout sur une de ces deux études, mais sans négliger l’autre.

Court historique

Le débat sur ce programme date des années 1960 et s’est joué entre la proposition de Milton Friedman sur l’impôt négatif (une sorte de revenu de base qui remplacerait les autres programmes sociaux) et celle d’un programme qui inciterait au travail. Phénomène presque disparu, ce programme a reçu l’approbation à la fois des Démocrates et des Républicains. Il a finalement été adopté en 1975 et a connu de très nombreuses modifications (dont je vais vous épargner la liste).

Son fonctionnement

Contrairement au PFRT canadien, l’EITC fut conçu en premier lieu pour les familles avec enfants, comme le montre éloquemment le graphique suivant qui illustre le fonctionnement de ce crédit selon les situations familiales en 2015.

crédits_impôt1

Ce graphique montre en effet clairement que les travailleurs sans enfants (ligne bleue, en bas à gauche) ne reçoivent presque rien de l’EITC, soit un maximum de 503 $ quand ils touchent un revenu de travail entre 6580 $ et 8240 $. En plus, ce crédit s’éteint totalement à partir d’un revenu de 14 820 $. Dès la présence d’un enfant (ligne jaune), ce crédit devient bien plus significatif, puisqu’il peut atteindre 3359 $ quand une famille (qui est la base de calcul de ce crédit) avec un enfant (de moins de 18 ans ou de moins de 25 ans s’il est aux études à temps plein) gagne entre 9880 $ et 18 110 $, et ne disparaît qu’à partir d’un revenu de 39 131 $. Il est encore plus avantageux pour les familles avec deux ou trois enfants, pouvant même atteindre plus de 6000 $, comme le montrent les lignes rouge vin et verte. Il faut aussi tenir compte que certains états bonifient ce crédit jusqu’au tiers de son niveau fédéral, portant le maximum du crédit pour une famille avec trois enfants à plus de 8000$.

Le graphique suivant montre que, au bout du compte, ce sont les familles avec des revenus se situant entre 10 000 $ par année et 29 999 $ qui en bénéficient le plus. Celles avec des revenus allant de 5000 $ à 9999 $ sont aussi nombreuses à en toucher, mais les sommes reçues sont nettement plus basses, puisque la barre noire (% des montants versés) est moins élevée que la blanche (% des bénéficiaires). Et ce sont les familles qui gagnent entre 15 000 $ et 19 999 $ qui reçoivent les montants les plus élevés (car c’est dans cette tranche que la barre noire surpasse le plus la blanche).

crédits_impôt2

Notons finalement que, en 2011, 28 millions de familles se sont partagées des crédits de 63 milliards $ (sans tenir compte des compléments apportées par les états). Cette somme aurait été un peu inférieure en 2012 (59 milliards $), probablement en raison de la reprise économique. On voit donc qu’il s’agit d’un programme important. Les auteurs de la deuxième étude précisent toutefois que cette somme représente moins du tiers de la perte de revenu du gouvernement (200 milliards $) en raison des deux mesures fiscales qui bénéficient le plus aux contribuables à revenus élevés, soit la non-imposition des cotisations et des revenus de retraite, et les taux réduits d’imposition sur les gains en capital et les dividendes. Cela montre que la générosité étatique des États-Unis (et d’ailleurs…) ne vise pas nécessairement les personnes qui en ont le plus besoin!

Son accès

Le guide expliquant ce crédit compte 108 pages! On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la majorité des personnes qui le demandent ont fait appel à des firmes externes ou à des services bénévoles pour remplir leur déclaration de revenus! En plus, les deux études estiment qu’environ 20 % des personnes qui ont droit à ce crédit ne le demandent pas (même si elles peuvent simplement indiquer le demander dans leur déclaration de revenus sans remplir les formulaire à cet effet), surtout celles qui ont droit aux montants les plus faibles, faut-il préciser. Dans ce contexte, peut-on vraiment penser qu’un tel programme puisse avoir les vertus incitatives au travail qu’on lui prête?

Les incitatifs

En théorie, ce crédit devrait inciter fortement les cheffes de familles monoparentales à travailler, car ces familles se situeraient dans les tranches de revenus les plus «payantes». On a de fait observé certains effets, mais bien moindres que prévus. De même, ce crédit aurait pu inciter à ce qu’un des deux membres d’un couple avec enfants abandonne son emploi (ou qu’il réduise fortement ses heures de travail, soit en ne travaillant qu’une partie de l’année ou en travaillant à temps partiel), mais rien de tel n’a été observé (ou si peu qu’il n’est pas clair que ces observations soient liées à ce crédit). Les auteurs expliquent cette quasi absence d’effets ainsi :

  • ce crédit est trop complexe pour être bien compris, donc pour avoir de tels effets;
  • les employeurs en profitent pour baisser les salaires qu’ils offrent ou ne pas les augmenter (notons que l’ampleur estimée de ce phénomène varie énormément selon les études). À ce sujet, de nombreux auteurs de ces études (dont Emmanuel Saez) mentionnent que seule une hausse importante du salaire minimum pourrait empêcher les employeurs d’accaparer une partie de ce crédit par des baisses de salaires (ou par des augmentations salariales faibles ou nulles);
  • on n’a pas observé de comportements sur la baisse des heures de travail, notamment parce qu’il est rare qu’un salarié (surtout un bas salarié) puisse contrôler ses heures de travail, mais aussi parce que le résultat demeure incertain (entre autres en raison de la crainte de perdre son emploi ou de ne pas pouvoir en trouver un autre).

Bref, on a observé certains effets sur le comportement des personnes, mais bien moins que les concepteurs de ce crédit et que les politiciens qui l’ont appuyé l’imaginaient.

Effets sur la pauvreté

Le principal effet positif de ce crédit se situe du côté de la pauvreté. Selon les calculs du Census Bureau, il a fait diminuer le taux de pauvreté global de trois points de pourcentage en 2013 (de 18,4 % à 15,5 %) et celui des enfants (moins de 18 ans) de plus de six points de pourcentage (de 22,8 % à 16,4 %), permettant à neuf millions de personnes, dont 4,6 millions d’enfants, de sortir de la pauvreté. C’est loin d’être négligeable! Ce fort impact est par contre atténué par le fait que le salaire minimum demeure bien bas et que l’absence ou la faiblesse des augmentations salariales dans les emplois exigeant peu de compétences peuvent avoir fait augmenter les taux calculés avant de tenir compte de ce crédit (les 18,4 % pour l’ensemble de la population et 22,8 % pour la pauvreté infantile).

Autres effets positifs

L’EITC a aussi d’autres effets positifs, notamment sur la santé, à la fois physique et mentale, et surtout chez les femmes cheffes de familles monoparentales. Ce crédit favoriserait aussi la poursuite des études chez les enfants et leur taux de diplomation. Finalement, il diminuerait le nombre de naissances de bébés avec des poids jugés insuffisants (baisse de 7 à 11 %, selon les études, pour chaque tranche de 1000 $ reçue dans le cadre de ce crédit).

Et alors…

Quelque part, ces deux études m’ont rassuré. D’une part, je n’errais pas en pensant que ce genre de crédit ne peut pas avoir les effets que les théoriciens en économie lui prêtent en termes d’incitation à chercher un emploi, car peu de personnes connaissent ces crédits et probablement encore moins celles qui y ont droit! Si les bénéficiaires potentiels des États-Unis ne connaissent toujours pas le fonctionnement d’un crédit créé il y a 40 ans, comment penser que nos crédits bien plus récents (le PFRT date de 2007 et la prime au travail de 2005) puissent inciter un grand nombre de personnes à travailler?

Il faut préciser que le crédit canadien n’est pas axé en premier lieu sur les familles (il y a d’autres crédits pour cela) comme l’EITC, mais bien plus sur les individus. Les crédits d’impôts pour les personnes seules sans enfants du PFRT et de la prime au travail du Québec (qui est, elle, plus avantageuse pour les familles…), peuvent atteindre plus de quatre fois le crédit maximal de l’EITC pour une personne sans enfants (soit près de 2200 $ par rapport à 496 $ en 2014), alors qu’ils sont moins élevés pour les couples avec enfants ou les cheffes de familles monoparentales. En plus, comme le salaire minimum est nettement plus élevé au Canada (même si pas assez), on peut penser que les employeurs en profitent moins qu’aux États-Unis pour maintenir leurs salaires bas. Il serait toutefois intéressant qu’une étude analyse l’impact de ces crédits au Québec. Cela dit, puisque ces crédits réduisent sans contredit la pauvreté et les inégalités, je ne peux que les appuyer!

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9 commentaires leave one →
  1. benton65 permalink
    6 août 2015 17 h 51 min

    Il faudrait peut-être vérifier la possiblilité que ce programme incite la natalité. Je me souviens d’un article que j’ai lue voilà plusieurs années sur les incitatifs de bonus monétaire à la naissance de chaque enfant… qui avait pour conséquance que la natalité augmentait surtout chez les faibles revenus… et avec une conséquance d’augmentation de la pauvreté, les enfants étant souvent laissés a eux-même!

    J’aime

  2. 7 août 2015 0 h 23 min

    Oui, le document en parlait. Mais je ne peux pas tout commenter!

    Mais en fait, l’effet semblait minime de ce côté.

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