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Jeanne express : André Pratte et les faits

22 novembre 2014

pratteQuand André Pratte prétend présenter des faits, comme dans son éditorial de ce matin, attachez vos tuques! Je ne vais pas commenter tous ces «faits», sinon je n’aurais pas pu accoler le mot «express» à ce billet, mais seulement deux, les plus précis.

«On entend dire aussi que l’augmentation des tarifs poussera certaines femmes à quitter le marché du travail. Quels que soient les bienfaits des services de garde subventionnés, force est de reconnaître que des facteurs plus lourds amènent les femmes à travailler. À preuve, ce n’est pas au Québec que la proportion de femmes sur le marché du travail est la plus élevée, mais en Alberta (67% contre 61%). Pourtant, y faire garder un enfant coûte entre 48$ et 60$ par jour.

De plus, dans des provinces où les tarifs sont bien plus élevés qu’au Québec, la proportion de femmes sur le marché du travail a augmenté autant qu’ici.»

Fort, cet argument, non? Justement, non! Précisons d’emblée que la statistique qu’il mentionne (67% contre 61%) est exacte et représente le taux d’activité des femmes âgées de 15 ans et plus au Québec et en Alberta en 2013. Sauf que, n’aurait-il pas été plus pertinent d’examiner les taux d’activité, ou encore mieux les taux d’emploi, des femmes en âge d’avoir des enfants qui peuvent fréquenter des services de garde?

Le graphique qui suit montre justement l’évolution des taux d’emploi des femmes âgées de 25 à 54 ans au Québec, en Alberta et au Canada.

pratte1

Le portrait est ici pas mal différent! D’une part, le taux d’emploi des femmes âgées de 25 à 54 ans était beaucoup plus faible au Québec (ligne rouge) qu’au Canada (ligne bleue) et qu’en Alberta (ligne jaune) en 1990. Puis, à partir de 1997, quel hasard, l’année où les services de garde à contribution réduite ont été mis sur pied, le taux d’emploi de ces femmes a augmenté beaucoup plus fortement au Québec entre 1996 et 2014 (taux moyen des 10 premiers mois), soit de 13,8 points de pourcentage, qu’en Alberta (de 0,7 point seulement!) et qu’au Canada (de 7,6 points, mais de 5,7 points si on ne considère que le reste du Canada), et surpasse maintenant les deux autres. Mais, cette donnée, quoique plus pertinente que celle utilisée par M. Pratte, n’est toujours pas satisfaisante, car elle inclut bien des femmes qui n’ont pas d’enfants en âge de fréquenter les services de garde.

Le graphique qui suit montre cette fois le taux d’emploi des femmes ayant des enfants de moins de six ans, peu importe leur âge. Il s’agit là directement des femmes qui peuvent potentiellement utiliser des services de garde.

pratte2

Là, les écarts sont encore plus nets! Cette fois, le taux d’emploi de ces femmes a augmenté de 17,7 points de pourcentage au Québec entre 1996 et 2014, pas du tout (0,0 point) en Alberta et de 9.6 points au Canada (mais de 7,2 points si on ne considère que le reste du Canada) et trône maintenant bien au-dessus de ceux du Canada et surtout de l’Alberta. Et monsieur Pratte ose dire que les femmes de l’Alberta avec enfants d’âge préscolaire sont aussi présentes sur le marché du travail qu’au Québec et que la proportion de femmes sur le marché du travail des autres provinces a augmenté autant qu’ici! J’ai rarement eu l’occasion de contredire un de ses arguments de façon aussi nette!

Et alors…

La campagne des partisans du PLQ du journal appartenant à Power Corporation ne s’est pas arrêtée là. Dans une chronique parue dans la même édition de La Presse, Alain Dubuc a soulevé pertinemment le fait que les familles les plus pauvres utilisent moins les services de garde à contribution réduite que les familles plus riches. Mais, pense-t-il vraiment que c’est avec la modulation (ou taxe à la natalité…) proposée par le gouvernement actuel que cette participation augmentera? Pour cela, il faudrait qu’on cesse de considérer ces services comme «un instrument de conciliation famille-travail» pour le considérer comme «une institution éducative mise sur pied pour tous les enfants» et qu’on les offre gratuitement comme tous les autres services d’éducation à l’enfance, tel que le recommande Camil Bouchard…

35 commentaires leave one →
  1. Mathieu Lemée permalink
    22 novembre 2014 21 h 14 min

    Hahaha! Pauvre André Pratte. Et Duhaime qui reprend pratiquement mot pour mot son article et ses statistiques pour dire exactement la même chose. Alors, je suis allé lui transmettre les faits que tu viens de publier.

    Deux fous dans une poche pour le prix d’un. Cet article fait ma journée et je n’ai jamais autant ri tout en m’instruisant. Merci. 🙂

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  2. 22 novembre 2014 21 h 20 min

    «Et Duhaime qui reprend pratiquement mot pour mot son article et ses statistiques pour dire exactement la même chose»

    Oui, je viens de voir ça! J’ai ajouté le lien…

    «je n’ai jamais autant ri tout en m’instruisant. Merci. »

    Tout le plaisir est pour moi. Je n’ai jamais écrit un billet de ce genre aussi rapidement. J’ai lu son édito vers 18 h et celui de Dubuc une demie-heure plus tard…

    Le plus drôle est que mon premier jet comptait 666 mots! Mais, en le relisant, j’en ai malheureusement ajouté un…

    Aimé par 1 personne

  3. Mathieu Lemée permalink
    22 novembre 2014 21 h 26 min

    « J’ai rarement eu l’occasion de contredire un de ses arguments de façon aussi nette! »

    Avoue que tu jubiles un peu quand même! 😉

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  4. 22 novembre 2014 22 h 41 min

    Je n’ai pas l’habitude de publier deux billets le même jour! Ni d’en écrire le samedi!

    Mais, je savais ce que je trouverais, quoique les résultats sont encore plus nets que je ne le pensais! Je ne pensais pas que le taux d’emploi des femmes albertaines avec enfants d’âge préscolaire n’avait simplement pas augmenté!

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  5. DirgeNovak permalink
    23 novembre 2014 6 h 45 min

    André Presse de la Pratte qui dit des conneries et sort des statistiques de son cul?
    Je tombe en bas de ma chaise, chose.

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  6. Denis Cusson permalink
    23 novembre 2014 8 h 12 min

    Faut -il être surpris André Pratte tout comme ses collègues de la section.éditorial de la Presse sont des portes paroles officieux du.PLQ et du PLC, hâte de.les.lire sur l’enquête de l’UPAC sur Jean Charest, de bien piètre journalistes

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  7. Pierre Paquette permalink
    23 novembre 2014 8 h 17 min

    Mais qu’en est-il des statistiques AVANT 1990? Vous semblez faire une sélection aussi, ce qui n’est pas mieux que ce que vous accusez André Pratte de faire…

    Je ne dis pas que vous avez tort ou qu’il a raison. Juste que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux statistiques!

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  8. 23 novembre 2014 9 h 59 min

    @ DirgeNovak

    «Je tombe en bas de ma chaise, chose.»

    L’intérêt de ce billet n’est pas qu’il ait dit des conneries, mais de donner la bonne information sur ce sujet.

    @ Pierre Paquette

    «Mais qu’en est-il des statistiques AVANT 1990? Vous semblez faire une sélection aussi, ce qui n’est pas mieux que ce que vous accusez André Pratte de faire…»

    Le sujet de l’éditorial de M. Pratte et de ce billet est l’impact de la création du programme de service de garde à contribution réduite sur le marché du travail des femmes. Or, il n’y a pas eu de tel programme avant 1990! J’ai cru que de montrer queques années avant la mise sur pied de ce programme (1990-1996) était suffisant. Je me demande d’ailleurs si vote commentaire n’est pas ironique…

    Si ces données vous intéressent, j’ai au moins fourni mes sources (tableaux camsim 282-0001 et 282-0210) qui en fournissent à partir de 1976.

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  9. Mathieu Lemée permalink
    23 novembre 2014 12 h 02 min

    Je pense que Gilbert Lavoie fait la même erreur que Pratte. Ton avis?

    http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201411/14/01-4819111-qui-doit-payer-pour-garder-nos-enfants.php

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  10. 23 novembre 2014 16 h 24 min

    Tout à fait. Il utilise les données de l’ensemble des femmes (15 ans et plus).

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  11. Jules Bergeron permalink
    23 novembre 2014 19 h 03 min

    Pratte dans les patates…pis pas ordinaire !

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  12. 23 novembre 2014 19 h 18 min

    André Pratte n’est pas le seul dans l’univers de Gesca à prendre les mauvaises données! Gilbert Lavoie a commis la même erreur quelques jours plus tôt. Mais, comme je ne lis pas Le Soleil, je ne l’avais pas vu :

    http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/chroniqueurs/201411/14/01-4819111-qui-doit-payer-pour-garder-nos-enfants.php

    Aimé par 1 personne

  13. 23 novembre 2014 22 h 08 min

    J’aurais dû ajouter que c’est Mathieu Lemée qui m’a alerté sur la chronique de Gilbert Lavoie…

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  14. 24 novembre 2014 9 h 32 min

    vous avez tous tellement raison, et en plus les femmes de l ouest du pays ,travaillent pas par nécessité comme ici mais pour se payer le luxe, et c est de source sûr.

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  15. Monique Boisvert permalink
    25 novembre 2014 2 h 07 min

    dans tous ses statistique es ce que l’étude à été fait en comparant les revenus familiales, ainsi que le coût de la vie?

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  16. 25 novembre 2014 6 h 11 min

    Mme Boisvert, je ne suis pas certain de ce que vous voulez dire, mais j’ai abordé le sujet à https://jeanneemard.wordpress.com/2014/11/15/la-modulation-des-tarifs-des-services-de-garde/ .

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  17. David permalink
    25 novembre 2014 6 h 48 min

    Pour faire l’avocat du diable, c’est difficile de mettre des milliards de dollars dans un programme et d’en tirer aucun résultat positif. Mais ça veut pas dire pour autant que le programme est optimal, que l’argent n’aurait pas mieux été dépensé autrement et que le programme ne mérite pas d’être revus.

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  18. 25 novembre 2014 8 h 39 min

    @ David

    Ce n’est pas du tout l’argument auquel répond ce billet!

    Cela dit, quelques études concluent plutôt que ce programme s’autofinance (voir http://www.ledevoir.com/documents/pdf/garderies.pdf ). Et, il ne faudrait pas oublier que, lors de l’implantation de ce programme en 1997, le gouvernement a aboli les allocations familiales pour financer ce programme.

    «En 1997, le Québec a pris un nouveau virage, abolissant l’allocation de jeune enfant et l’allocation de naissance et remplaçant son allocation universelle de base par une nouvelle allocation peu généreuse qui cible étroitement les familles les plus pauvres. Abandonnant une stratégie d’incitations monétaires pour stimuler les naissances, il a choisi d’investir dans des politiques de services de garde à 5 $ par jour et un nouveau programme de congés parentaux, c’est-à-dire des mesures visant la conciliation travail-famille et l’égalité des femmes sur le marché du travail (Gouvernement du Québec, 1997).»

    http://www.erudit.org/revue/nps/2003/v16/n1/009633ar.html

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  19. David permalink
    25 novembre 2014 13 h 17 min

    En effet, mon commentaire était hors sujet. Je vais faire attention!

    Donc sur le sujet! Effectivement, les données du deuxième graphe sont plus pertinentes pour le sujet en question. Je suis d’accord.

    Néammois, je trouve que le lien que tu fait entre le deuxième graphe et le programme des CPE pas plus convaincant pour autant. Selon les graphes, ça serait plutôt 1995 l’année charnière et non pas 1997.

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  20. 25 novembre 2014 14 h 51 min

    Le seul lien que j’ai fait fut de dire que le taux d’emploi des femmes avec enfants d’âge préscolaire a augmenté plus fortement que dans le reste du Canada à partir de l’entrée en vigueur du programme de services de garde à contribution réduite. Dans ce texte, je ne parle en fait que de corrélation, même pas de causalité (j’y reviendrai plus tard cette semaine si je le peux).

    Ce billet ne visait qu’à contrer les affirmations de M. Pratte, qui prenait pour preuve que le taux d’emplois des femmes est plus élevé en Alberta qu’au Québec et que la proportion de femmes sur le marché du travail des autres provinces a augmenté autant qu’ici.

    «Selon les graphes, ça serait plutôt 1995 l’année charnière et non pas 1997»

    Ça se discute, mais il faut essayer de distinguer les tendances liées à l’augmentation régulière du taux d’emploi des femmes depuis les années 1970, tendance qui s’est aussi manifestée dans les autres provinces, de celle où on observe un taux de croissance plus élevé au Québec que dans les autres provinces. Et, cela commence en 1997 ou en 1998, années où le taux d’emploi de ces femmes au Québec a commencé à être supérieur à celui de ces femmes du Canada, pour rejoindre le taux canadien en 2000 et le surpasser par la suite.

    Encore là, il n’est pas dit que le lien est causal, mais il est difficile de laisser totalement de côté cette explication sans proposer autre chose.

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  21. David permalink
    25 novembre 2014 15 h 11 min

    En effet, je doute pas que cela ça eu un effet. Comme je le disais, c’est difficile d’inverstir autant d’argent sans avoir d’impact. Ce que je questionne c’est pas le fond mais plutôt la forme des CPE. Mais je vais garder cette discussion pour un autre billet plus approprié.

    Au plaisir.

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  22. mathieulbouchard permalink
    1 décembre 2014 12 h 35 min

    Il n’est pas nécessaire que le Québec arrive devant l’Alberta pour montrer que le système de garderie est utile, et dans le cadre des comparaisons canadiennes, c’est le contraire : dans un classement, ce sont ceux qui sont le plus bas qui ont le plus besoin de soutien, pas ceux qui sont le plus haut ! (Il y a eu un débat similaire il y a 2 ans : le % de détenteurs de diplômes universitaires au Québec comparé aux autres provinces serait à la fois le signe qu’il faut monter les frais de scolarité et le signe qu’il ne faut pas les monter !)

    Mais, dans l’absolu, c’est encore autre chose : il faut et il suffit que le programme de garderies fasse mieux que l’absence du programme de garderies.

    Dans une telle évaluation, il convient d’évaluer les retombées du programme, et en particulier, combien Revenu Québec collecte-t-il de plus à cause du programme (il y a encore des gens qui font semblant que ce programme n’a pas de revenus, peut-être parce que la comptabilité ne peut tenir compte des effets indirects).

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